Naviguer est un instinct dans le règne animal...
En pilotage dans l’aviation tout comme lorsque l’on prend la mer, on parle de “navigation”, c’est-à-dire se mouvoir sans encombre d’un point A à un point B dans un milieu parfois hostile. L’Homme partage cette discipline avec d’autres espèces animales comme les mammifères marins, les oiseaux migrateurs ou certains poissons comme les saumons de mer, tous mus par leur instinct et sans doute par le courant magnétique à la surface du globe.
Le skipper ou le pilote doit ainsi se jouer à la fois des vents, des courants et éviter les mers ou les ciels trop agités et les écueils. Ils s’élancent ainsi sur leur “zinc” comme on disait du temps de Mermoz, Saint-Exupéry et de l’Aéropostale, ou sur leur “rafiot craquant” comme le chantait Aznavour, à la merci des forces de la nature et de leurs propres limites. Leur objectif est avant tout d’arriver à bon port, quelles que soient leurs motivations premières, la nécessité ou le plaisir.
... et une folie chez l’Homme, compensée par la technique et la connaissance de soi.
Or depuis des millénaires, l’Homme dont l’instinct et les capacités physiques sont limitées, s’appuie sur son ingéniosité pour se mouvoir et se repérer dans l’espace. Que cet espace soit aérien, maritime, terrestre ou sous-marin, sa survie dépend de sa capacité à anticiper la traversée et à réagir aux imprévus.
Les progrès techniques du 20e siècle nous ont apporté des éléments essentiels qui ont permis de démocratiser et de sécuriser l’aviation légère et la navigation côtière ou hauturière, jusqu’à en faire des loisirs accessibles aux passionnés : les prévisions météorologiques, le système GPS, l’utilisation de nouveaux matériaux, la fiabilité des moteurs ainsi que la mise en place de systèmes de sauvetage et de techniques de survie, ont considérablement diminué les risques du vol à vue et de la plaisance.
Risque = probabilité x magnitude
Comme le rappelle Nicholas Taleb dans son livre phare “le Cygne Noir”, un risque n’est pas qu’une probabilité, c’est une probabilité multipliée par une magnitude. On comprend alors pourquoi toute chance même minime de provoquer un crash devait être traquée par l’industrie aéronautique et les pilotes eux-mêmes. Ainsi, limiter au maximum la probabilité d’erreur des pilotes devenait une question de vie ou de mort.
L’aviation a donc compris dès les années 1930 l’importance des check-lists pour limiter les erreurs humaines. Ces listes de vérification, compactes et testées dans l’action, permettent en effet l’accumulation de retours d’expérience et diminuent drastiquement la probabilité d’étourderies ou d’erreurs de procédures potentiellement fatales.
En effet, les limites de la machine humaine sont nombreuses. On apprend lors du Brevet de Pilote Privé que les « facteurs humains », dans un chapitre qui représente 20% des connaissances théoriques à valider, restent source de 80% des accidents : biais cognitifs, erreurs de routine, stress, fatigue, alcoolémie, mauvaise entente ou communication dans l’équipage… Autant de causes possibles d’incidents. Bien-sûr, c’est la même chose en mer, et les check-lists sont l’instrument le plus simple pour réduire ces risques humains.
La sécurité maritime, de la superstition aux check-lists
En mer, il existe tout autant d’issues potentiellement dramatiques que dans les airs : naufrage, incendie, collision, échouement, noyade etc. Cependant, un fatalisme hérité de la navigation dans l’Antiquité a perduré jusqu’à notre ère. Le monde maritime a longtemps valorisé la transmission orale ou l’expérience personnelle acquise sous la protection des dieux ou de la providence. Ainsi, le monde nautique a longtemps méprisé la transmission écrite et les retours d’expérience pragmatiques. L’Almanach du Marin Breton, lancé en 1899 par Jacques de Thézac, a à ce titre été une véritable révolution dans la sécurité maritime, en introduisant un support écrit essentiel aux marins.
La violence des éléments marins a toujours induit une dimension divine à la navigation en mer. Le skipper ou Capitaine, décrit comme “seul maître à bord après Dieu”, devenait à lui seul le garant de la sécurité de son équipage, et la croyance en son infaillibilité devenait une condition pour oser embarquer. En corollaire, l’égo du Capitaine pouvait s’en trouver dopé jusqu’à un risque majeur, celui de l’excès de confiance. Au contraire, le mantra des pilotes était depuis longtemps emprunt d’humilité : “Il n’y a pas de bons pilotes, il n’y a que de vieux pilotes.”
A quoi sert une check-list en mer ?
Les check-lists ont de multiples applications en mer en fonction de chaque situation, en croisière côtière ou hauturière ou en situation de détresse :
1) Vérifications de base
s’assurer que toutes les procédures de sécurité sont suivies, comme la vérification des équipements de sécurité, des extincteurs, des gilets de sauvetage, etc.
2) Situations d’urgence
En cas d’urgence ou de situation critique, les check-lists peuvent servir de guide précis pour les actions à entreprendre rapidement et de manière ordonnée. Elles servent de rappel visuel pour le skipper et son second afin de s’assurer que toutes les étapes sont suivies dans le bon ordre et qu’aucune n’est oubliée. Elles les aident à rester calmes et concentrés et à s’assurer qu’ils suivent les procédures d’urgence qui ont déjà fait leur preuve. Il ne sert à rien de réinventer la roue !
3) Communication à bord
Les check-lists garantissent une approche cohérente et uniforme des procédures. Cela est particulièrement important lorsque chaque membre de l’équipage suit la même liste et les mêmes procédures, ce qui réduit les risques de confusion ou d’incohérence.
4) Gestion de l’information
Les check-lists aident le skipper et son second à gérer efficacement les informations nécessaires pour une navigation en toute sécurité. Elles servent de rappels visuels et les guident tout au long des différentes phases de la navigation, en veillant à ce qu’ils prennent en compte toutes les variables importantes.
5) Formation et apprentissage
Elles sont un outil pédagogique précieux, en particulier pour les nouveaux membres de l’équipage ou les personnes en formation. Elles leur permettent de comprendre et de mémoriser les différentes étapes et procédures nécessaires à la navigation en toute sécurité en fournissant une structure claire et systématique.
6) Maintenance
elles sont utilisées pour la maintenance régulière du bateau. Elles aident à suivre les tâches d’entretien, telles que la vérification des moteurs, des systèmes électriques, des voiles, etc., ce qui permet de détecter et de résoudre les problèmes potentiels avant qu’ils ne deviennent critiques.
Pourquoi le projet Safetics ?
La navigation en mer est complexe et exige une concentration intense de la part du skipper et de son équipage. Malgré les progrès réalisés, les erreurs fatales restent fréquentes. Cependant, la création du guide Safetics, une check-list illustrée destinée aux marins, vise à garantir la sécurité, la fiabilité et le plaisir des sorties en mer, en s’appuyant sur le sens marin des utilisateurs.
La marque Safetics a été déposée en 2012, marquant le centenaire du départ tragique du Titanic. Safetics a pour objectif d’éviter les accidents dus à la confiance excessive ou au manque de connaissances, en mettant l’accent sur la sécurité et l’éthique.
En résumé, les Anciens comme Sénèque dans les ses Lettres à Lucilius nous alertaient déjà sur la nécessité de se préparer aux événements ayant un impact majeur sur notre réalité, même si leur probabilité était faible. Ils savaient que l’esprit humain avait tendance à reproduire les mêmes erreurs. Les check-lists en bateau, synthèse des retours d’expérience de milliers de marins, sont un outil essentiel pour la sécurité, la prévention des accidents, la cohérence des procédures, la formation et la maintenance.
Elles permettent de s’assurer que toutes les étapes nécessaires sont effectuées de manière fiable et systématique, réduisant ainsi les risques et améliorant l’efficacité et la fiabilité des opérations nécessaires à la navigation. La mission de Safetics depuis 2012 est de faire en sorte que l’utilisation des check-lists devienne une partie intégrante de la culture de la plaisance, comme elles le sont dans le domaine aérien et dans la marine professionnelle.
Guillaume de Corbiac
et l’équipe Safetics
2 Comments
[…] 26 May 2023 Read in French […]
[…] Pour en savoir plus sur la sécurité à bord, consultez notre autre article en collaboration avec Safetics sur l’art de l’anticipation en bateau ! […]