Orages et Cygnes noirs...
Le Cygne Noir : La Puissance de l’Imprévisible » est un livre écrit par Nassim Nicholas Taleb, qui explore le concept de l’impact extrême de certains types d’événements rares. L’auteur les appelle des « cygnes noirs », faisant référence à la découverte historique de cygnes noirs en Australie à une époque où tous les européens croyaient que tous les cygnes étaient blancs.
En plein été, les orages violents, les coups de vent voire les tempêtes comme celle vécue en Méditerranée au cours de l’été 2022 sont des « Cygnes noirs » auxquels il est impératif d’être préparé compte-tenu de leur impact potentiellement dévastateur. Pour se faire il faut tout d’abord être conscient des principaux biais cognitifs auxquels nous sommes tous soumis et qui nous empêchent de nous y préparer efficacement.
Pourquoi est-on souvent pris au dépourvu par les changements météorologiques ?
Les biais cognitifs sont des tendances inhérentes à la pensée humaine qui peuvent mener à des erreurs de perception, de raisonnement et de prise de décision. Parmi les plus marquants, on trouve le biais de confirmation, qui nous pousse à chercher et à valoriser les informations qui confirment nos croyances tout en ignorant celles qui les contredisent. Il y a aussi l’effet de l’ancrage, qui nous fait trop nous fier à l’information initiale lorsque nous prenons des décisions, tandis que le biais de récence nous fait accorder plus de poids aux informations les plus récentes.
Ainsi lorsque la météo est favorable en début de journée par exemple, nous avons tendance à penser qu’elle le sera toute la journée. Pourtant les vents locaux et même certains phénomènes météorologiques de grande ampleur peuvent se déclencher en quelques minutes.
L’effet Dunning-Kruger fait que les personnes peu compétentes ont tendance à surestimer leur compétence, tandis que les personnes compétentes ont tendance à la sous-estimer. Dans la même veine, le biais d’auto-complaisance nous fait attribuer nos succès à nos propres capacités et nos échecs à des facteurs extérieurs tandis que le biais rétrospectif nous amène à voir les événements passés comme plus prévisibles qu’ils ne l’étaient réellement.
Ainsi, l’excès de confiance en soi et le manque de préparation aux conséquences d’un coup de vent ou d’un orage restent les principales causes de mauvaises décisions en mer et une grande source de dangers. L’humilité doit rester une valeur absolue. Comme le disent les pilotes d’avion « il n’y a pas de bons pilotes, il n’y a que de vieux pilotes ».
Enfin, le biais de survie nous fait concentrer notre attention sur ceux qui ont réussi grâce à leurs qualités exceptionnelles en omettant ceux qui ont échoué.
Ainsi on a tendance à penser que nous pouvons affronter les mêmes conditions que les marins professionnels que nous voyons évoluer dans les grandes courses au large. Or ces marins évoluent sur des bateaux sur-préparés et utilisent justement des check-lists comme la Check-list des Marins afin d’anticiper tous les scénarios
Comment préparer son bateau face au « Cygne noir » que constitue un orage ou un coup de vent violent ?
Au mouillage, comme au port, votre bateau doit toujours être prêt à affronter un coup de vent ou un orage, car les modèles météorologiques ne peuvent tout prévoir. Très fréquemment des vents locaux liés au relief peuvent se lever en pleine nuit, ou des phénomènes météorologiques plus massifs peuvent tromper les meilleurs modèles de prévision. Aussi dans tous les cas, même par beau temps, il est nécessaire d’amarrer ou de mouiller votre bateau pour la nuit comme si le vent devait se lever subitement. Le jour où cette occasion se présente, vous vous féliciterez de votre prévoyance.
Lorsque les prévisions existent, face à l’arrivée imminente d’un orage ou d’un coup de vent, une préparation minutieuse est primordiale (voir p. 39 la Check-list des Marins) :
1. Commencez par surveiller les bulletins de météo marine pour anticiper les variations de conditions. Si la situation le permet et que vous en avez le temps, mettez-vous l’abri dans un port ou dans une large baie sous le vent de la côte – par exemple à l’Est de la Corse si le coup de vent est annoncé d’Ouest, et ce afin de bénéficier de l’effet de protection du relief et de minimiser le danger que votre bateau soit précipité sur les rochers.
2. Si vous êtes en mer, tentez de changer votre trajectoire pour esquiver la tempête ou de vous trouver suffisamment au large de toute côte pour pouvoir dériver sans toucher la terre pendant tout le temps que durera le coup de vent. Assurez-vous que chaque membre de l’équipage soit parfaitement équipé et notamment porte un gilet de sauvetage et s’attache avec une ligne de vie en cas de nécessité de se déplacer sur le pont. Vérifiez le bon fonctionnement de vos pompes de cale, prêtes à évacuer toute eau embarquée. À bord et sur le pont, sécurisez tout objet susceptible de se déplacer, et notamment l’annexe, le mouillage, la baille à mouillage, les planchers, tous les tiroirs. Fermez hublots, coffres et écoutilles pour prévenir toute voie d’eau. Préparez les repas en amont, notez votre position GPS et mettez votre VHF en veille sur le canal 16.
Avant que le vent s’intensifie, il est crucial d’avoir réduit la surface de voile pour éviter de surcharger le bateau, en hissant, si possible, une voile de tempête plus petite et plus résistante. Dans tous les cas soyez prêts à « mettre à la cape » ou à « mettre en fuite » en cas de vagues déferlantes si vous êtes en voilier, à utiliser l’ancre flottante pour limiter votre dérive, et à déclencher les procédures d’urgence (PAN PAN) ou de détresse (MAYDAY) si nécessaire (p. 36 et 44 de la Check-list des Marins). Prévoyez également un plan d’urgence communiqué à tous, comprenant un sac de survie et la localisation du radeau de sauvetage prêt à l’emploi.
3. Au mouillage quelles précautions supplémentaires prendre pendant un coup de vent ?
Tout d’abord il est important de savoir bien mouiller votre bateau (p. 24 de la Check-list des Marins). N’hésitez pas à mettre à poste un mouillage secondaire prêt à être largué en cas de dérapage de l’ancre sur le fond, ou même à utiliser des techniques de mouillage double. Par ailleurs, il est conseillé de mettre un maximum de chaîne et d’utiliser une « main de fer » pour minimiser les chances de dérapage, et ce notamment pour les bateaux larges ayant tendance à se mettre en travers du vent. Il est essentiel d’être équipé, d’avoir le moteur prêt à démarrer, et d’assurer une veille extérieure pour s’assurer que le mouillage tienne.
Toutes ces précautions étant prises, voici une liste d’applications qui peuvent vous aider à surveiller la position de votre bateau et à être alerté en cas de décrochage de l’ancre :
1. Anchor Watch / Alarm : cette application est disponible pour les appareils Android et iOS et est conçue pour surveiller votre ancre. Vous pouvez définir une zone sûre autour de votre bateau, et l’application vous alerte si votre bateau sort de cette zone.
2. DragQueen Anchor Alarm : c’est une application gratuite pour iOS qui offre des fonctionnalités similaires à celles de Anchor Watch. Elle surveille la position de votre bateau et vous alerte si l’ancre glisse.
3. Boat Beacon : cette application pour Android et iOS propose un suivi AIS en temps réel, qui peut être utilisé pour surveiller la position de votre bateau. Elle dispose également d’une fonction d’alarme d’ancre.
4. MarineTraffic : plus qu’une simple application d’alarme d’ancre, elle offre un aperçu complet de la situation maritime mondiale avec le suivi AIS. Vous pouvez ajouter votre bateau pour un suivi spécifique et recevoir des notifications d’alerte en cas de mouvement. C’est une application payante et disponible sur Android et iOS. 5.
Boat Watch : disponible sur iOS et Android, cette application vous permet de suivre votre bateau et vous envoie des alertes si votre bateau quitte son mouillage.
Il est important de noter que ces applications reposent sur le GPS de votre téléphone, ce qui peut drainer rapidement la batterie. De plus, elles ne remplacent pas une vigilance humaine et doivent être utilisées comme une couche de sécurité supplémentaire. Assurez-vous de vérifier régulièrement la situation réelle de votre bateau, surtout en cas de mauvais temps ou de conditions maritimes changeantes.
4. Au port quelles précautions supplémentaires prendre ?
Avant la tempête, vérifiez vos amarres et vos pare-battages. Assurez-vous de retirer tous les objets qui ne sont pas solidement fixés à votre bateau, comme les voiles, les biminis, les meubles, pour éviter qu’ils ne soient emportés par le vent et ne causent des dommages. Vérifiez également que les bateaux voisins sont bien amarrés car, même si votre bateau est bien attaché, il peut être endommagé par d’autres bateaux mal sécurisés.
Enfin, si vous pouvez le faire en toute sécurité, vérifiez régulièrement votre bateau pendant la tempête pour vous assurer que les amarres tiennent et qu’aucun autre problème n’est survenu. Néanmoins, il est impératif de ne pas compromettre votre sécurité personnelle. Si les conditions deviennent trop dangereuses, il est préférable de rester à l’abri et de ne pas risquer votre vie pour sauver votre bateau.
5. Comment éviter les dommages liés à la foudre ?
La foudre sur un bateau est un phénomène potentiellement dangereux qui touche particulièrement les voiliers . Voici quelques conseils pour éviter tous dommages pendant un orage :
- Évitez le contact avec le métal : évitez le contact avec les objets métalliques autant que possible. Le métal conduit l’électricité et peut vous électrocuter si la foudre frappe.
- Évitez l’utilisation de l’électronique : si possible, déconnectez et rangez l’équipement électronique pour le protéger des surtensions électriques, y compris la VHF et les téléphones portables.
- Restez à l’intérieur : si vous êtes en mer et que vous ne pouvez pas rejoindre un abri sûr, restez à l’intérieur de la cabine autant que possible pour éviter d’être exposé.
- Dans le cas des voiliers de type dériveurs (absence de quille en métal), attachez une chaîne métallique à l’un de vos haubans ou à votre mât et laissez-là traîner dans l’eau pour lui permettre de conduire l’électricité si la foudre frappe le mât.
Il est toujours préférable de surveiller attentivement les prévisions météorologiques et d’éviter de naviguer si des orages sont prévus. Aucune mesure ne garantit une protection totale contre la foudre.
Anticiper toutes les situations pour en minimiser les conséquences est le rôle du skipper et de son second. Il faut faire preuve d’imagination et souvent penser contre les tendances naturelles de son cerveau pour bien se préparer et ainsi éviter d’être pris au dépourvu. Le sentiment de liberté et la sécurité de tout l’équipage quelles que soient les conditions sont à ce prix. Heureusement ces phénomènes ne sont que ponctuels et localisés pendant la belle saison, alors bonnes navigations !
Pour en savoir plus sur la sécurité à bord, consultez notre autre article en collaboration avec Safetics sur l’art de l’anticipation en bateau !
Guillaume de Corbiac
et l’équipe Safetics
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